Un manifeste Cryptopunk
Auteur : Eric Hughes, 09/03/1993
Traducteur : Anonyme, 2010
Zine : Rafale #14


L'intimité est nécessaire pour une société ouverte à l'âge de l'électronique. 
L'intimité n'est pas le secret. Ce qui est intime est ce que l'on ne veut pas 
que tout le monde sache, mais ce qui est secret est ce que personne ne doit 
savoir. L'intimité est le pouvoir de se révéler soi-même sélectivement aux 
gens.

Si deux parties sont en relation, alors chacune d'entre elle garde un souvenir 
de leur intéraction. Chaque partie peut parler de leur échange en se basant 
sur leur propres souvenirs de celui-ci; comment quelqu'un pourrait-il 
empêcher cela ? Des lois pourraient être votées contre cela, mais la liberté 
de parole, à plus forte raison encore que l'intimité, est fondamentale à une 
société ouverte; nous ne cherchons à restreindre aucune parole. Si un grand 
nombre de parties parlent ensemble sur le même forum, chacune d'entre elles 
peut parler de tous les autres et accumuler un ensemble de connaissances à 
propos d'une ou de toutes les autres parties. La puissance des communications 
électroniques a permis de tels groupes de parole, et ils ne disparaîtront pas 
simplement parce que nous pourrions le désirer.

Puisque nous voulons de l'intimité, nous devons nous assurer que chaque partie 
d'une transaction connait seulement ce qui est indispensable à toute 
transaction. Comme il est possible de parler de n'importe quelle information, 
nous devons être sûrs que nous en révélons le moins possible. Dans la 
plupart des cas, l'identité personnelle n'est pas nécessaire. Quand j'achète 
un magazine à un bureau de presse et que je paye en liquide au vendeur, il n'y 
a pas besoin de savoir qui je suis. Quand je demande à mon fournisseur de 
messagerie d'envoyer et de recevoir des messages, celui-ci n'a pas besoin de 
connaître à qui je parle,  ni ce que je dis, ni ce que l'on me dit; il a 
juste besoin de savoir comment récupérer le message et combien je lui dois. 
Lorsque mon identité est révélée par le mécanisme sous-jacent de la 
transaction, je n'ai pas d'intimité. Je ne peux pas me révéler de façon 
sélective; je dois toujours me révéler.

L'intimité dans une société ouverte rend donc nécessaire des systèmes de 
transaction anonymes. Jusqu'ici, l'argent liquide était le plus important de 
ces systèmes. Un système de transaction anonyme n'est pas un système de 
transaction secret. Un système anonyme permet aux individus de révéler leur 
identité quand ils le veulent et seulement dans ce cas-là; c'est l'essence 
même de l'intimité.

L'intimité dans une société ouverte requiert de la cryptographie. Si je dis 
une chose, je veux qu'elle ne soit entendue que pour ceux à qui elle est 
destinée. Si le contenu de mes paroles est consultable par le monde entier, je 
n'ai pas d'intimité. Crypter c'est montrer son désir d'intimité, et crypter 
avec une faible cryptographie c'est montrer le peu d'intérêt qu'on a pour 
elle. En outre, prouver l'identité de quelqu'un avec assurance là où 
l'anonymat est la base requiert une signature cryptographique.

Nous ne pouvons attendre des gouvernements, des entreprises ou autres 
organisations sans visage qu'ils nous accordent l'intimité par pure 
bienfaisance. Parler de nous est dans leurs intérêts, et nous devons nous 
attendre à ce qu'ils le fassent. Essayer de les faire taire, c'est se battre 
contre les réalités de l'information. L'Information ne veut pas juste être 
libre, elle rêve de l'être. L'Information tend à remplir l'espace disque 
disponible. L'Information est le petit de la Rumeur, le descendant le plus 
fort; l'Information est plus rapide, a plus d'yeux, sait plus de choses, et en 
déduit moins que la Rumeur.

Nous devons défendre notre propre intimité, si nous voulons encore en avoir 
une. Nous devons nous rassembler et créer des systèmes qui permettent les 
transactions anonymes. Les gens ont défendus leur propre intimité pendant des 
siècles à l'aide de chuchotements, d'obscurité, d'enveloppes, de portes 
fermées, de poignées de mains secrètes et de courriers. Les technologies du 
passé ne permettait pas une grande intimité, mais les technologies 
électroniques le font.

Nous, les Cryptopunks, nous dédions à la construction de systèmes anonymes. 
Nous défendons notre intimité à coup de cryptographie, de systèmes de 
transfert de courriels anonymes, de signatures numériques et d'argent 
électronique.

Les Cryptopunks écrivent du code. Nous savons que quelqu'un doit écrire des 
programmes afin de défendre l'intimité, et puisque nous ne pouvons pas 
l'obtenir à moins de tous nous y mettre, nous allons les écrire. Nous publions 
notre code afin que nos confrères Cryptopunks puissent s'entraîner et jouer 
avec. Notre code est libre et tout le monde peut l'utiliser, et ce dans le 
monde entier. Nous nous moquons bien de votre avis sur les programmes que nous 
écrivons. Nous savons qu'un programme ne peut être détruit, et qu'un système 
totalement décentralisé ne peut être arrêté.

Les Cryptopunks déplorent la régulation de la cryptographie, pour ce qui est 
du cryptage, il s'agit fondamentalement d'un geste personnel. Le geste de 
crypter élimine l'information du domaine public. Même les lois contre la 
cryptographie ne peuvent aller plus loin que les frontières de leur nation et 
le bras de leur violence. La cryptographie va inéluctablement se répandre sur 
le monde entier, et avec elle, les systèmes de transactions anonymes qui 
rendent cela possible.

Pour que l'intimité se généralise, elle doit faire partie d'un contrat social. 
Les gens doivent venir et déployer ensemble ces systèmes, pour le bien de 
tous. L'intimité ne s'accroît qu'avec la coopération entre les membres d'une 
société. Nous, les Cryptopunks, cherchons à connaître vos questions et vos 
inquiétudes, et nous espérons que vous vous engagerez à ne pas nous trahir. 
Cependant, nous ne dévierons pas de notre course parce que certains sont en 
désaccord avec nos buts.

Les Cryptopunks sont activement engagés à rendre les réseaux plus sûrs pour 
l'intimité. Laissez-nous agir ensemble et rapidement.

En avant.

Eric Hughes
hughes@soda.berkeley.edu
9 Mars 1993